Violence Spirituelle, Spiritualité Violente: de la Place de la Violence dans l'Exploration du Mystère
Par Aftoprokroústês
- 6 minutes de lecture - 1079 motsLes émotions et actions violentes sont une part intégrale de la vie. Il semble alors que de les ignorer soit une forme de déni. Cette série d’articles a pour but de regrouper les réflexions résultant de mes explorations d’un terrain difficile mais passionnant: les relations souvent paradoxales entre spiritualité et recherche du sacré, d’une part, et différentes formes de violence, d’autre part.
Beaucoup de lecteurs seront familiers avec des instructions invitant à laisser les émotions violentes exister, les accepter sans jugement, et observer comment elles se transforment, se dissipent. Les réflexions que je vous propose ici vont plus loin, en intégrant la violence elle même dans la pratique, de manière active! Comme dans le Bouddhisme tibétain, où la méditation avec les divinités vengeresses est vue comme une voie particulièrement efficace mais risquée vers l’éveil, je vois un grand potentiel dans cette voie, mais aussi la nécessité d’une grande prudence.
Ces explorations sont ancrées dans une exploration de la vacuité de tous les phénomènes, et en particulier du sens du moi et des émotions: un sens figé du “moi contre toi” ou une réification de la colère auront tendance à éloigner des intuitions que les formes de violences que nous allons explorer peuvent supporter. D’un autre côté, ces explorations, via les expériences qu’elles induisent, poussent à questionner certaines dualités tenaces, telle que haine vs amour, ou agression vs altruisme. Et c’est en observant ce type de modèle se fissurer qu’un sens plus profond de la vacuité s’installe et s’épand.
Avant d’aller plus loin, quelques précisions importantes:
- en aucun cas ne propose-je de faire de la violence le centre de la pratique. Ces pratiques peuvent être puissantes, en bien comme en mal (comme nous le disent les enseignements Vajrayana), et il est nécessaire de les balancer par d’autres pratiques non violentes, comme le développement de Metta (bienveillance), la contemplation de la vacuité des phénomènes et émotions, la dévotion, le développement de la Samadhi…
- je ne voit pas non plus ces pratiques comme spirituelles en soi: dans le cas des sports de combat par exemple, il y a clairement des pratiquants qui se laissent subjuguer par la violence, plutôt que d’apprendre à la dépasser: on peut en voir la preuve par exemple dans les provocations hors-match courantes dans le monde du MMA, les “hooligans” et autres personnalités violentes qui se défoulent volontiers sur de parfaits inconnus, ou une certaine fascination malsaine de certains pratiquants pour les combats de rue et/ou les armes létales. Il serait cependant erroné de prendre ce type de comportement pour la norme, ou pour une conséquence nécessaire de la pratique des sports de combat — la plupart de pratiquants de sports de combats sont respectueux les uns des autres12. J’irais même plus loin en poussant à ne pas négliger ce qu’un pratiquant peut avoir à dire, seulement parce que certaines de ces actions nous paraissent (à tord ou à raison) injustes.
- en aucun cas non plus n’est il ici question d’être violent avec un être vivant, quel qu’il soit — à moins d’avoir son consentement absolu, comme dans le cas de l’entraînement aux sports de combat. Au contraire, ces pratiques, avec le temps, peuvent aider à transmuter les émotions violentes, et à transformer une pulsion d’agression en une réponse plus appropriée, potentiellement d’amour. Je vais même jusqu’à proposer qu’une personne violente peut être une personne attirée par le divin, qui n’a pas réussi à canaliser ces énergies de manière utile — ce qui pourrait expliquer, du moins en partie, comment certains criminels changent leur comportement à 180° après avoir “trouvé Dieu” .
Pour explorer ce vaste thème, je vous propose ici le début d’une série d’articles en explorant chacun une facette. Chacun de ces articles est un instantané de ma pensée et de ma compréhension à un instant donné, et ne prétend pas énoncer une vérité absolue. Au contraire, je trouve intéressant de documenter mes réflexions au fur et à mesure de mes explorations, pour pouvoir capturer les changements qu’elles induisent dans ma pratique. Les thèmes que je vous proposent sont les suivants (les thèmes sans lien hypertextes ne sont pas encore publiés — pensez à souscrire au flux RSS pour être informés de leur parution):
- Dévotion par la Violence: le Cas des Musiques Extrêmes
- Musiques Extrêmes et Dévotion: une Mystique du Mosh Pit
- Sports de Combat3 et Spiritualité: Clarifications Préliminaires
- Sports de Combat et Spiritualité: le Travail de la Colère
- Les Sports de Combat Comme Source d’Expériences Transformatrices
- Sports de Combat et Ego (I): la nécessité de se libérer de l’attachement et l’effacement de l’Ego
- Sports de Combat et Ego (II): l’Alter-Ego du Combattant et la Fabrication du Sens du Moi
- Sports de Combat et Spiritualité: Travail Avec la Douleur
- Sports de Combat et Spiritualité: de l’Adversité à l’Universalité - liens avec le chamanisme
- Sports de Combat et Spiritualité: l’Importance des Rituels
- Violence dans l’Imaginal: Mutilations et Aggressions
(Crédit Photo: Shahin Khalaji)
-
Une des raisons, très pragmatiques, est que personne ne veut s’entraîner avec un abruti qui prend ses partenaires pour des sacs de frappe. À ce titre, une formule que je lis souvent m’insupporte: les sports de combats permettraient aux pratiquants (notamment adolescents) de “trouver un exutoire à leur violence”. Au contraire, l’entraînement aux sports de combat (par opposition, par exemple, au simple travail sur sac de frappe) force à apprendre à travailler de manière plus subtile avec les émotions violentes que de les laisser jaillir dans une explosion de violence. ↩︎
-
Un parallèle qui parlera peut-être au public de ce blog: nous lisons malheureusement régulièrement des articles relatant des abus de pouvoir (souvent à des fins sexuelles) dans de nombreuses traditions spirituelles. Bien que cela montre qu’une pratique spirituelle n’implique pas forcément la vertu, et nous incite à la prudence face à nos enseignants et à nos propres dérives, cela ne veut bien sûr pas dire que la pratique spirituelle rend lubrique et abusif. ↩︎
-
l’appellation “sports de combat”, plutôt qu’“arts martiaux”, est volontaire. En effet, les arts martiaux asiatiques traditionnels ont tous une part de spiritualité intégrée à la tradition, qui sera plus ou moins présente suivant les écoles. Mais ici, je veux explorer le pouvoir des sports de combats à supporter l’exploration spirituelle, hors de ces traditions, et y compris dans les sports traditionnellement très peu “spirituels”, tels la boxe ou le MMA. Personnellement, ces explorations se sont ouvertes lorsque j’ai commencé à pratiquer le kickboxing, et l’absence de cadre spirituel traditionnel rend cette pratique beaucoup plus facile à intégrer dans ma pratique spirituelle pré-éxistante. ↩︎
Restez à Jour
Pour rester au courrant des mises à jour, souscrivez au flux RSS
Si vous préferrez des notifications par e-mail, utilisez ce formulaire (service externe fourni par blogtrottr.com):