Le Corps d'Énergie: Quoi, Pourquoi, Comment.
Par Aftoprokroústês
- 11 minutes de lecture - 2165 motsLa notion de corps d'énergie, telle que je l’utilise, est loin d’une idée new age d’un corps “éthéré” ou “astral” à l’existence indépendante. Plutôt, il s’agit d’un mode d’attention à un champ de perceptions qui se révèle extrêmement utile dans les explorations méditatives. Cet article vise à servir de référence sur ce sujet dans le cadre de ce site, et peut, je l’espère, vous encourager à explorer ce champ vous-même.
L’Attention au Corps d’Énergie: une Courte Introduction
Avant de décrire plus en détail comment ce mode d’attention peut être utile, j’aimerais vous inviter à faire trois courtes expériences.
Expérience 1: tenez vos deux mains devant vous, les paumes ouvertes l’une vers l’autre, à environ 20 cm l’une de l’autre. Maintenant, portez attention à l’espace entre vos mains. Prenez votre temps. Sentez-vous quelque chose? Il n’est pas inhabituel de pouvoir sentir une vibration, une “texture”(potentiellement subtile, mais perceptible) dans cet espace.
Expérience 2: asseyez-vous confortablement, le dos droit. Cherchez une position qui demande le moins d’efforts possible pour rester droit, mais relâché. Prenez quelques inspirations profondes, et ce faisant, portez votre attention sur un espace englobant votre corps, mais un peu plus grand. La forme importe peu, et cet espace peut avoir des frontières plus ou moins claires. Portez votre attention sur la “texture”, l’énergie de cet espace, plutôt que les sensations physiques. Lorsque l’espace de votre attention rétréci, étendez-le à nouveau, simplement. Laissez cet espace (que j’appellerai à partir de maintenant le corps d’énergie) être comme il est: il n’y a pas de “bonne” ou de “mauvaise” texture. Si vous sentez une tension, vous pouvez essayer de la relâcher, puis retourner à l’attention, essayant de voir si vous trouver un changement dans le corps d’énergie.
Lorsque votre attention est bien établie, vous pouvez expérimenter. Par exemple, souriez volontairement, et observez l’effet sur le corps d’énergie. Personnellement, je trouve l’effet tellement positif que j’aime volontairement sourire pour toute la durée de ma session. Ou jouez avec la respiration. Imaginez par exemple que, au lieu de rentrer depuis vos narines, la respiration soit une énergie qui s’étend depuis votre cœur dans tout le corps à l’inspiration, puis se dissipe dans l’environnement à l’expiration. Est-ce que cette énergie a une couleur? Une température? Que se passe-t-il si vous visualisez volontairement une autre couleur? Que se passe-t-il si vous visualisez l’énergie comme rentrant par le point de contact avec votre siège ou coussin? Par les pieds? Par le bas du dos, le haut de la tête, par tout le corps à la fois? Expérimentez aussi longtemps que vous le souhaitez, sans vous limiter à mes suggestions, puis reportez calmement votre attention aux sensations physiques et à votre environnement.
Expérience 3: choisissez un morceau de musique que vous aimez particulièrement. Le style importe peu, mais idéalement choisissez un morceau qui évoque des émotions en vous, plutôt qu’un morceau “de toile de fond”. Allumez la musique, puis établissez le contact avec le corps d’énergie comme lors de l’expérience précédente. Ne tentez pas de forcer quoi que ce soit, observez simplement les changements et réactions du corps d’énergie à la musique. Si des images émergent, laissez-les émerger, mais restez principalement avec le corps d’énergie. Si votre concentration baisse ou que vous dérivez dans une rêverie, pas de problème, c’est habituel: revenez simplement au corps d’énergie. Après la fin du morceau, prenez le temps nécessaire pour revenir à votre environnement.
Si vous avez réalisé ces expériences, vous avez probablement remarqué plusieurs choses:
- Il est possible de “ressentir” un espace hors du corps
- Le corps d’énergie réagit à l’état mental, et peut donc permettre d’identifier et de travailler avec les émotions
- Même plus, le simple fait de porter attention au corps d’énergie et de lui “donner le droit” de réagir peut donner une profondeur tout à fait nouvelle au ressenti des émotions, par exemple suscitées par la musique.
- Inversement, le travail du corps d’énergie par la visualisation a aussi une influence sur les états mentaux, et peut aider à influencer ceux-ci
Avant de passer à la section suivante, je tiens à préciser que le champ des possibles est très vaste, et qu’il est tout à fait normal et acceptable que les sensations ou les changements perceptibles soient très subtils. D’autres fois, les sensations peuvent être tellement fortes qu’elles sont difficiles à supporter. Tout à fait normal, et il n’est pas nécessaire d’essayer de forcer l’expérience dans une direction ou dans l’autre. Ce post de River Kenna a de jolies images comparant l’idée que l’on peut avoir de ce qu’est le corps d’énergie avec ce à quoi cela ressemble dans beaucoup de cas.
Un concept pas si étranger
De fait, il apparaît que ce concept nous est moins étranger qu’il n’y paraît: lorsque l’on parle d’avoir “un noeud dans la gorge”, “froid dans le dos”, “le coeur ouvert”, “ressentir un grand vide”, “écouter son coeur “, ces mots correspondent souvent à un ressenti dans le corps d’énergie.
Malheureusement, dans notre culture moderne, le sens du “moi” est “monté dans la tête”, probablement en raison de l’emphase de la raison comme seul mode d’accès valable à la vérité. Ne dit-on pas, à quelqu’un qui a mal au ventre avant une présentation importante, que “ce n’est que dans sa tête”?
De manière intéressante, cette myopie qui vous amène à considérer tous les phénomènes perceptibles en dehors du crâne comme secondaires, colore et filtre les enseignements qui pourraient nous en extirper. Par exemple, la manière dont la méditation d’influence bouddhiste (qu’elle soit clairement identifiée comme telle ou cachée derrière des apparences “séculaires”) est enseignée en Occident est très centrée sur la tête. “Paie attention aux sensations du souffle au niveau des narines”, “soit conscient des pensées, mais ne t’y accroche pas”… Même lorsque l’on porte l’attention à d’autres parties du corps, souvent, il est implicite qu’on les regarde “depuis en haut”: l’attention est dans la tête et dirige son regard vers un pied, le ventre, etc. Pourtant, il y a d’autres alternatives. Pouvez-vous essayer de laisser le pied être conscient du pied, le ventre du ventre, le bras du bras? Si oui, pouvez-vous essayer de porter attention à cet arbre dans la cour avec le centre de votre attention localisé dans le cœur? Dans les jambes? Remarquez-vous une différence? Pour beaucoup, la différence est perceptible et peut même être substantielle.
On peut même aller plus loin dans la critique (bienveillante! Ces pratiques sont bénéfiques, et je ne propose pas de les remplacer, mais simplement d’ouvrir le champ des pratiques possibles) de l’enseignement actuel du bouddhisme: le concept de “cita”, en Pāli, désigne l’ensemble corps-esprit, sans compartementalisation claire. Dans le canon Pāli, par exemple, il est difficile de trouver une référence à un esprit dans la tête. Par contre, un des enseignements qui reviennent le plus souvent, celui des 8 jhanas, ces niveaux d’absorption méditative considérés cruciaux pour atteindre l’éveil, est clairement lié au corps d’énergie. Voyez par exemple la description classique des 4 premiers jhanas:
« En outre, coupé des désirs des sens, coupé des états d’esprit malsains, il entre et demeure dans le premier jhana : ravissement et plaisir engendrés par la solitude, accompagnés de la pensée initiale et de la pensée soutenue. Il imprègne, pénètre, inonde et remplit son propre corps du ravissement et du plaisir nés de la solitude. Tout comme un homme qui fabrique du savon avec habileté verse des sels de bain dans un bassin en laiton et les pétrit en les aspergeant d’eau encore et encore de sorte que sa boule de sels de bain finit par être emplie d’eau, chargée d’humidité, complètement imprégnée sans pour autant gouter, de même le moine imprègne … son propre corps du ravissement et du plaisir nés de la solitude. Il n’y a rien dans tout son corps qui ne baigne dans le ravissement et le plaisir engendrés par la solitude. Tandis qu’il demeure ainsi attentif, ardent et résolu, toutes les décisions et tous les souvenirs relatifs à la vie familiale sont abandonnés et, du fait de cet abandon, son esprit se rassemble et se pose à l’intérieur, il s’unifie et se concentre. Voilà comment un moine développe l’attention plongée dans le corps.
« Ensuite, lorsque s’apaisent la pensée initiale et la pensée soutenue, il entre et demeure dans le deuxième jhana : ravissement et plaisir engendrés par la concentration, focalisation de l’attention libre de la pensée initiale et de la pensée soutenue. Assurance intérieure. Il imprègne, pénètre, inonde et remplit son propre corps du ravissement et du plaisir nés de la concentration. De même qu’un lac né d’une source souterraine ne reçoit d’eau ni de l’est ni de l’ouest, ni du nord ni du sud, qu’il est abondamment arrosé par la pluie du ciel de sorte que la source d’eau fraîche qui est en lui l’imprègne et le pénètre, l’inonde et le remplit d’eau fraîche sans qu’un seul endroit du lac ne soit empli d’eau fraîche, de même le moine imprègne … son propre corps du ravissement et du plaisir nés de la concentration. Il n’y a rien dans tout son corps qui ne baigne dans le ravissement et le plaisir engendrés par la concentration. Tandis qu’il demeure ainsi attentif, ardent et résolu, toutes les décisions et tous les souvenirs relatifs à la vie familiale sont abandonnés et, du fait de cet abandon, son esprit se rassemble et se pose à l’intérieur, il s’unifie et se concentre. Voilà comment un moine développe l’attention plongée dans le corps.
« Ensuite, lorsque le ravissement s’apaise, il demeure équanime, attentif et vigilant, et ressent un bonheur physique. Il entre et demeure dans le troisième jhana dont les nobles êtres disent : ‘Heureux celui qui demeure dans l’équanimité et l’attention.’ Il imprègne, pénètre, inonde et remplit son propre corps de ce bonheur libre de l’exaltation du ravissement. De même que dans une mare de lotus certaines fleurs qui naissent et grandissent sous l’eau restent immergées dans l’eau et fleurissent sans sortir de l’eau, de sorte qu’elles sont imprégnées et pénétrées, inondées et remplies d’eau fraîche depuis leurs racines jusqu’au bout de leurs pétales sans qu’une seule partie des lotus ne soit emplie d’eau fraîche, de même le moine imprègne … son propre corps du bonheur libre de l’exaltation du ravissement. Il n’y a rien dans tout son corps qui ne baigne dans ce bonheur libre de l’exaltation du ravissement. Tandis qu’il demeure ainsi attentif, ardent et résolu, toutes les décisions et tous les souvenirs relatifs à la vie familiale sont abandonnés et, du fait de cet abandon, son esprit se rassemble et se pose à l’intérieur, il s’unifie et se concentre. Voilà comment un moine développe l’attention plongée dans le corps.
« Ensuite, ayant abandonné plaisir et douleur, de même qu’il avait déjà abandonné joie et chagrin, le moine entre et demeure dans le quatrième jhāna : pureté de l’équanimité et de l’attention, sans plaisir ni douleur. Assis, il enveloppe entièrement son corps d’une conscience pure et lumineuse. De même qu’un homme assis, recouvert de la tête aux pieds d’un drap blanc sans qu’aucune partie de son corps ne soit recouverte de drap blanc, le moine est assis, le corps baigné d’une conscience pure et lumineuse. Il n’y a pas une seule partie de son corps qui ne soit emplie de cette conscience pure et lumineuse. Tandis qu’il demeure ainsi attentif, ardent et résolu, toutes les décisions et tous les souvenirs relatifs à la vie familiale sont abandonnés et, du fait de cet abandon, son esprit se rassemble et se pose à l’intérieur, il s’unifie et se concentre. Voilà comment un moine développe l’attention plongée dans le corps.
Qu’en pensez vous: plus proche de l’attention au corps d’énergie, ou de la “pleine conscience” dont certains semblent penser qu’il s’agit du seul mode d’attention valable? Remarquez aussi comment le Bouddha nous invite à être actifs: vous n’êtes pas simplement observateurs des phénomènes, mais vous devez agir activement pour répandre cette énergie dans tout votre corps, tel un employé de bain malaxant vigoureusement et avec soin des ingrédients secs avec de l’eau pour créer un pain de savon homogène.
Importance pour la pratique imaginale
Le travail avec le corps d’énergie est bénéfique en soi. Il peut être très utile pour travailler avec les émotions, ou pour atteindre les jhanas, ces états d’absorption qui peuvent aider à gagner des intuitions profondes et durables sur la vacuité.
Ce qui m’intéresse encore plus, cependant, est la relation de la pratique avec le corps d’énergie et la pratique imaginale. La pratique imaginale, telle que je la pratique, ne peut se faire sans une familiarité avec le corps d’énergie. C’est un contact constant avec le corps d’énergie qui nous permet de différencier une image, au sens de l’imaginal, et une rêvasserie. C’est aussi le corps d’énergie qui nous permet de nous orienter, de choisir quoi explorer. Enfin, beaucoup d’effets de la pratique imaginale viennent par l’influence des images sur le corps d’énergie.
Ce sujet très vaste sera l’objet du prochain poste dans cette série.
Je vous souhaite de fructueuses explorations.
(Crédit Photo: Jené Stephaniuk via Unsplash)
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