Violence dans la Dévotion: le Cas des Musiques Extrêmes
Par Aftoprokroústês
- 6 minutes de lecture - 1094 motsCet article fait partie de la série “Violence Spirituelle, Spiritualité Violente”. Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous invite à lire l’introduction à cette série ici.
Les musiques extrêmes (Metal, Punk Hardcore…) sont aussi clivantes que les huîtres: il est difficile de trouver quelqu’un qui ne soit pas soit un fan, soit dégoutté. La raison est cependant différente: alors que le problème principale des huîtres est simplement qu’elles sont objectivement répugnantes, le jugement à l’égard du métal est souvent un mélange de goût musical et de jugement moral: tant de violence ne peut être sain, cela doit nécessairement rendre violent et agressif, etc. Sans vouloir passer l’existence de fans de métal violents, je peux, en tant que métaleux de longue date (“putain, 20 ans!”, comme dirait l’autre), affirmer qu’ils sont loin d’être la majorité, et que la violence même de la musique peut avoir un effet transformateur qui va plus loin que la notion populaire de “défoulement”.
Avant d’aller plus loin, il me semble important de préciser ce que je veux dire lorsque je parle de “spiritualité dans la musique”. Lorsque j’utilise ce mot, je ne veux pas simplement parler de la beauté ou de la charge émotionnelle d’un morceau, bien que ces aspects soient importants. Lorsque je parle de la charge spirituelle d’un morceau, je parle de sa capacité à éveiller un sens de “plus”, une perception de quelque chose d’insaisissable, qui nous dépasse. Il y a un lien avec ce que Rob Burbea appelle l’Eros, ainsi qu’à la dévotion. Pourquoi est-ce si important? Ce sens de “plus”, ce sens que je ne peux, quelle que soit ma manière de la concevoir ou de l’appréhender, comprendre la totalité de mon expérience, est une magnifique voie à la fois vers une compréhension intuitive de la vacuité des phénomènes, et vers un embellissement du monde, le Soul Making ou “tissage de l’âme”. Notre incapacité à saisir complètement le “sens” de l’expérience musicale nous pousse à moins être attachés aux diverses interprétations de cette expérience, et nous invitent à nous laisser pénétrer par le Mystère.
Je pourrais passer des jours à commenter des centaines de morceaux qui me touchent à un niveau “spirituel”, mais je vous propose ici une sélections de trois morceaux qui font partie de mes favoris. Je vous invite au passage aussi à admirer les pochettes des albums, qui invitent tout autant à la contemplation – la pochette du dernier morceau m’a par exemple beaucoup inspiré dans mes premières explorations imaginales. Naturellement, ces analyses sont une intellectualisation a posteriori de mon ressenti intuitif – et je ne veux en aucun cas suggérer que ce la soit la “bonne” interprétation, ni même que cela soit le “sens” donné à ces morceaux par les artistes. Ces analyses sont plutôt proposés au titre d’exemples de la relation de la violence musical et du divin.
Premier Exemple: la Prière par la Violence
Le court morceau suivant est pour moi un très bon exemple de ce que j’appellerais une “prière violente”. Le texte est une lettre à une personne non nommée, à laquelle le narrateur chante son désespoir. Au niveau musical, la base instrumentale pensive, mystérieuse, se combine avec un chant violent, rauque. L’image qui me vient à l’esprit est celle du chanteur à genoux au milieu d’un bois brumeux, de nuit, criant son désespoir au ciel, dans l’attente d’un sauvetage miraculeux. Ce que je veux mettre en avant ici, c’est que, à mon sens, c’est la violence de l’expression elle même qui transforme ce texte en prière. Je suis convaincu que le même texte chanté de manière plus classique m’évoquerait plutôt une lettre à un confident, émouvante mais sans cette dimension transcendante. Lorsque j’écoute ce morceau les yeux fermés, je peux sentir de la rage, du désespoir et d’autres émotions primales, violentes, monter des profondeurs pour se matérialiser dans ma poitrine; mais aussi une grande ouverture au mystère, une dévotion au divin, une forme d’abandon à ce qui me dépasse. Par ce processus, les émotions sont transformées, prennent du sens, deviennent à la fois offrande au divin et expression de celui-ci à travers moi.
Deuxième Exemple: l’Infini Intérieur
La violence semble souvent venir “des entrailles”, “des profondeurs”. Dans ces cas, l’émotion revêt un caractère insaisissable, mystérieux, tel un papillon de nuit qui perdrait sa beauté épinglé à un mur. Aller au contact de cette source, s’en abreuver, s’en familiariser, cela peut être aller vers le divin.
Prudence, cependant! Beaucoup de traditions religieuses nous mettent en garde contre une figure maléfique se faisant passer pour le bien (le Diable des Chrétiens, Mara dans le Bouddhisme…).
Exemple dans cette chanson. Le chant profond vient de profondeurs insondables, au coeur de la poitrine. Quelle que soit la profondeur, il semble venir de plus loin, de plus large. Il y a de la beauté dans cet infini, mais aussi du danger, le danger de s’y perdre et de ne pas pouvoir revenir. C’est pourquoi le chant essaye de s’en échapper au refrain, mais sans y parvenir: le chant semble être à la fois clair et saturé, comme si la chanteuse n’arrivait à échapper aux profondeurs, et à revenir au monde conventionnel. La descente aux enfers ouvre les portes de la perception chères à Aldous Huxley: le monde conventionnel, ou l’enfer, ne sont que deux manières de voir. Même si je n’ai pas toujours la chance de pouvoir passer volontairement de l’un à l’autre, je sais qu’aucun de ces deux mondes n’a plus de réalité que l’autre. Ne croire qu’au monde conventionnel, c’est être naïf; ne croire qu’à l’Enfer, c’est la dépression.
Ce thème de l’impossibilité de s’échapper se retrouve dans les paroles:
You wrap me up
like silk in the strings
that pluck me to feed
I escape,
but I carry you with me
Troisième Exemple: la Douleur de la Transformation et de l’Abandon
Avant de passer au thème suivant, il me parait impossible de parler de spiritualité dans le métal sans évoquer le groupe Persephone. La transformation spirituelle, dans différentes formes, est le thème principal de leurs textes, et leurs albums sont construits comme de véritables voyages initiatiques, amenant l’auditeur ouvert à mourir et renaître de ses cendres. Le morceau que j’ai choisi est une invitation à l’abandon des vielles structures mentales et à la renaissance (On my knees, I still believe – This cruel metamorphosis – Pure reborn – Beliеve), répétée de différents modes: déclamée, chantée, criée. Cette diversité et violence de l’expression rend la douleur de cette transformation palpable, tout en en reconnaissant la beauté et le caractère nécessaire, pour aller outre.
(Crédit Photo: Arisa Chattasa)
Restez à Jour
Pour rester au courrant des mises à jour, souscrivez au flux RSS
Si vous préferrez des notifications par e-mail, utilisez ce formulaire (service externe fourni par blogtrottr.com):