Le Péché, C'est ce qui m'Éloigne de Dieu
Par Aftoprokroústês
- 6 minutes de lecture - 1122 motsDans un épisode de son magnifique Podcast “Turning to the Mystics”1, James Finley dit “le Péché, c’est ce qui m’éloigne de Dieu”. Cette interprétation libérée de jugement moral est incroyablement libératrice, et j’aimerais l’explorer ici avec vous.
Péché, Karma et Morale
Culturellement, le concept de péché très lié à la morale. Saint Augustin, une des figures les plus importantes dans la définition du Dogme, interprète en particulier le péché originel comme la preuve que l’homme est foncièrement mauvais et honteux. Cette doctrine, et les sentiments de honte et de culpabilité qu’elle entraîne, font partie de notre héritage collectif, et sont souvent citées comme une raison pour l’intérêt pour les doctrines indiennes et leur approche différente de la moralité.
Dans le bouddhisme, en particulier, la notion de Karma est beaucoup plus souple dans son interprétation morale: le Karma est la “loi des causes et des effets”. Il s’agit d’un cadre descriptif des effets des actions (physiques ou mentales): certains effets (ceux qui mènent à l’éveil, à Nibbāna) sont désirables; d’autres (qui mènent à la renaissance dans un règne inférieur, où la pratique du Dhamma est impossible) sont indésirables. Mais les actions ne sont pas, en soi, bonnes ou mauvaises; seuls leurs effet peuvent être plus ou moins désirables.
Ce que fait James Finley, c’est de proposer de voir la notion Chrétienne de Pêché comme un bouddhiste voit le Karma: en tant que mystique, je souhaite l’union avec Dieu. Toute action physique ou mentale qui m’éloigne de ce but est “péché”.
Quelle est la différence, me direz vous? La différence, c’est que nous passons d’un schéma normatif (sexe=mal, charité=bien, etc.), rigide mais paresseux, à un schéma flexible mais rigoureux. En général, être généreux avec les personnes ayant moins que moi me rapproche de Dieu… Sauf si je le fais pour mon propre bien plutôt que pour la personne. De même, la délectation dans les plaisirs des sens aura tendance à m’éloigner de Dieu, mais cela n’est pas nécessaire (voir les pratiques tantriques dans certaines religions asiatiques). Souvent, nous sommes pris et emporté par la recherche de plaisirs sensuels, et il fait donc sens de faire l’effort de s’en détourner; mais ce corps est notre seul moyen de percevoir et connaître, et être capable d’accepter et d’apprécier les perceptions qu’il nous relaye peut avoir une grande valeur spirituelle.
Cela ne signifie pas que le mystique n’a pas de morale, au contraire. Cette interprétation est ce qui envoya Marguerite Porète au Bûcher: elle écrit que, dans l’union avec “Dame Amour”, l’Âme arrête de se préoccuper de morale et n’a pas, en particulier, d’ordre à recevoir d’“église la petite” (nom qu’elle donne à l’institution de l’église). Mais ce qu’elle veut dire, c’est qu’elle est alors incapable de vouloir autre chose que ce que veut Dieu; la morale devient naturelle, plutôt que normative. Elle n’a plus besoin de règles à suivre pour plaire à Dieu, puisque, de par son annihilation dans Dieu, elle est incapable de vouloir autre chose que ce que veut Dieu.
En général, la liste des “péchés capitaux”, des 10 Commandements ou les préceptes du Bouddhisme sont des guides utiles. Dans la grande majorité des cas, il est vrai que ces actions nous “éloignent de Dieu”. Cependant, plutôt que la honte, la réaction devrait être tout d’abord la gratitude d’avoir “détecté” le péché, puis une réorientation consciente vers le Divin, le but.
Cela est cohérent avec l’expérience de beaucoup de praticiens de la méditation ou de la prière, qu’un des effets de cette pratique est l’augmentation des traits altruistes et un intérêt réduit pour la gratification de l’Ego.
Le Pêché Originel
Si nous voulons lire les Saintes Écritures Chrétiennes à travers cette perspective, il est indispensable de pouvoir voir le mythe du Péché Originel de cette manière. Je vous propose ici une interprétation, qui s’est révélée utile pour moi; c’est loin d’être la seule, et je vous invite à jouer avec différentes “manières de voir” ce mythe, si vous aimez lire ou écouter des enseignants chrétiens.
Le mythe du Péché Originel peut être résumé ainsi: Adam et Eve sont créés par Dieu, nus au milieu du Jardin d’Eden. La seule règle est qu’ils ne sont pas autorisés à goûter du fruit de l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Vous connaissez la suite: serpent, cueillette du fruit, Dieu pas content, damnation éternelle.
Bien que la raison de la colère de Dieu soit que “l’Homme soit devenu l’un de nous par la connaissance du Bien et du Mal” (Gn. 3-22), remarquons qu’ils ne sont pas devenus Dieu; qu’ils n’ont pas gagné la Connaissance complète et parfaite. Non, ce qu’ils ont gagné, c’est la capacité de distinguer le bien du mal. Et la conséquence, c’est que “[Dieu ne permet pas] qu’il avance la main, qu’il cueille aussi le fruit de l’arbre de vie, qu’il en mange et vive éternellement!”.
Ce que je propose, c’est que la “connaissance du bien et du mal” peut être assimilée à la raison: chaque concept est défini en comparaison avec d’autres. Et ces concepts forment la perception. On pourrait même aller plus loin: la connaissance du “bien et du mal” implique un jugement de valeur; je veux le bien, et je veux éviter le mal. En termes Bouddhistes, la connaissance du bien et du mal peut être assimilée à l’attachement et à l’aversion. J’irai même plus loin: étant considérée une “connaissance”, elle peut être assimilé à l’ignorance du Bouddhisme: l’ignorance du fait que l’attachement et l’aversion sont la cause de Dukkha, la souffrance. Ignorance, Attachement, Aversion: le péché originel n’est autre que les trois poisons du Bouddhisme!
La conséquence de ces poisons, c’est l’incapacité à “vivre éternellement”: l’éternel, ce n’est pas ce qui dure pour toujours, mais plutôt ce qui est hors du temps. Ce sens d’une perception “hors du temps”, dans l’“éternel Présent”, est une caractéristique récurrente des intuitions mystiques, et une caractéristique essentielle de ce que je considère une perception, même fugace, du Divin. Si ces perceptions ne peuvent être, pour la plupart d’entre nous, que fugaces, c’est à cause de ce péché originel, à la fois part essentielle et magnifique de notre humanité (je vous rappelle que Dieu nous dit que cela nous fait “l’un de Nous”!), et source de damnation éternelle, nous rendant incapables de simplement nous reposer dans l’éternel.
Cette manière de comprendre le péché déverrouille un tout nouveau niveau de lecture de la Bible, beaucoup plus libérateur que les promesses de combustion éternelle au moindre faux pas qui sont malheureusement répandues dans beaucoup de branches du Christianisme.
Crédit photo: Andy Bodemer
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malheureusement, je ne me rappelle pas de quel épisode il s’agit… Mais si vous comprenez assez l’Anglais, je ne peux que vous conseiller d’écouter tous les épisodes, l’épisode exact a donc peu d’importance! ↩︎
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