De la Lecture Poétique à la Poésie de la Perception
Par Aftoprokroústês
- 2 minutes de lecture - 422 motsLongtemps, en lisant ou écoutant un texte poétique, j’étais de l’avis1 qu’il était essentiel de révéler “ce que veut dire l’auteur”. En particulier pour les textes qui me touchaient, je partais à la recherche d’entretiens dans lesquels je pourrais vérifier mon interprétation. Quelle était ma déception si le but recherché par l’auteur ne correspondait pas à mon interprétation! Comment? Mais mon interprétation est tellement plus belle, tellement plus juste! C’est impossible, le journaliste doit être un ignorant!
Heureusement, j’ai su dépasser cette assurance tout adolescente. Non seulement il est quelque peu arrogant de penser détenir l’Interprétation Seule et Unique d’une œuvre, mais la multiplicité d’interprétations possibles est ce qui fait toute la beauté d’une œuvre poétique. Il n’y a pas que l’auteur qui se livre à la création (Poiesis) – le lecteur/auditeur/spectateur lui-même crée son sens et son monde à partir des mots transmis; ni identique, ni complètement différent du monde de l’auteur. Qu’importe l’intention de l’auteur, si ses mots nous ouvrent un monde qui nous touche? Se donner le droit d’être touché à l’insu de l’auteur peut offrir accès à des mondes insoupçonnés.
Mais pourquoi arrêter ce mode de lecture au champ très restreint de l’art humain? L’acte de percevoir est lui-même une lecture, une Poiesis: la création d’un sens et d’un monde à partir des données sensorielles. S’il est acceptable d’adopter un mode de lecture poétique, il doit en être de même d’un mode de perception poétique. Au diable la “vérité”, la “réalité”, le “monde tel qu’il est”! Ce monde que je perçois, c’est moi qui le crée, que je le veuille ou non… Laissons donc cette création faire son office, au lieu d’essayer de la dompter pour lui faire dire ce qu’une autorité quelconque (science, église, mon collègue un brin cynique) dit qu’il faut qu’elle dise! Si je perçois cet arbre par la fenêtre comme un être bienveillant offrant son amour à nous pauvres humains courant à ses pieds, pourquoi tenter de me convaincre que ce n’est qu’un tas de bois? Si, regardant ma fille, je la vois comme la réincarnation d’une lignée de guerrières impitoyables mais justes, venues dans ma vie pour continuer leur mission, devrais-je vraiment me forcer à la voir comme un amas de cellules résultant d’une série de circonstances aléatoires? Ou, conscient de la vacuité des différentes options, puis-je simplement laisser émerger la perception qui fait sens dans le moment, sans pour autant la réifier comme “la vérité”, tel l’adolescent que j’étais?
-
on peut certainement pour cela remercier notre chère école gratuite, laïque et obligatoire… ↩︎
Restez à Jour
Pour rester au courrant des mises à jour, souscrivez au flux RSS
Si vous préferrez des notifications par e-mail, utilisez ce formulaire (service externe fourni par blogtrottr.com):